(Texte extrait de la thèse de P. CANCOUËT avec l'accord de l'auteur)
La réaction d'hydrosilylation consiste en l'addition d'une fonction hydrogénosilane (Si-H) sur un composé organique insaturé comme le montre le tableau III-1.
Groupement |
Catalyseur |
Produit |
Référence |
>C=O |
[H2PtCl6 , 6 H2O] RuCl2 (PPh3)2 |
>CH-O-Siº |
(203-205)
|
>C=N- |
ZnCl2 |
>CH-N-Siº |
(206,207) |
- CºN |
Acétylacétonate |
-CH=N-Siº |
(208) |
-N=O |
[H2PtCl6 , 6 H2O] |
-NH-O-Siº |
(209) |
-CºC- |
[Ph4As]2 [PtCl6] |
-CH = C-Siº |
(210) |
>C=C< |
[H2PtCl6 , 6 H2O] |
|
(217) |
Tableau III-1 : Différents types de fonctions insaturées concernées par l'hydrosilylation.
L'addition de fonctions hydrogénosilane sur les insaturations éthyléniques est celle qui a fait l'objet du plus grand nombre de travaux. C'est aussi celle qui nous intéresse puisque nous nous proposons de greffer l'AEP sur des copolymères MD H n D m M.
Il existe principalement deux méthodes pour mettre en œuvre cette réaction :
„ La génération de radicaux silyle : thermiquement ( 300°C ) (211) , par irradiation (rayonnement U.V. (212) et g (213) ) ou par décomposition de peroxydes (214) ou d'azonitriles (215) . Cette technique est peu utilisée, car elle donne de nombreux produits secondaires (télomérisation des composés insaturés, décomposition des amorceurs) et des rendements faibles (216) .
„ La catalyse par des métaux de transition généralement du groupe VIII. Parmi ces différents catalyseurs employés pour la réaction d'hydrosilylation, les composés à base de platine et plus particulièrement l'acide hexachloro-platinique hexahydraté sont ceux qui présentent la plus grande efficacité comme l'ont montré Speier et al. (217) . Ce catalyseur utilisé en très faible quantité et pour des temps de réaction généralement inférieurs à 5 h permet d'atteindre des rendements relativement élevés. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont conduit à l'utiliser pour nos synthèses.
Sous sa forme commerciale, l'acide hexachloroplatinique hexahydraté [H2PtCl6 , 6 H2O] (ACP) est un solide rouge-orangé, très hygroscopique, ce qui rend sa manipulation assez délicate. N'étant pas soluble dans les solvants usuels (hydrocarbures aliphatiques ou aromatiques) et étant très peu efficace en phase hétérogène, il est généralement utilisé en solution dans un alcool : l'isopropanol (163,218) ou le tertiobutanol (219) , plus rarement dans du THF (220) . Lorsqu'il est dissous dans l'alcool isopropylique, il prend le nom de catalyseur de Speier (217) . Il s'avère efficace, selon les espèces chimiques mises en jeu, à très faible concentration (jusqu'à 5.10 -8 mole par mole d'oléfine, dans certains cas (221) ).
En général, une fois les réactifs introduits dans le réacteur (hydrogénosilane, oléfine et catalyseur de Speier), la réaction d'hydrosilylation ne démarre pas immédiatement : elle présente une période d'induction (163,218,222-227) . Cette période de durée variable et qui peut atteindre plusieurs heures suivant les conditions expérimentales laisse ensuite place à la réaction d'hydrosilylation qui débute rapidement et de façon très exothermique. Nous avons trouvé dans la littérature plusieurs interprétations différentes pour expliquer cette période d'induction (163,218,222-227) . Lors de l'étude du greffage par hydrosilylation des doubles liaisons pendantes du polybutadiène par un aminosilane en présence d'ACP, Hazziza et al. (163,218) ont démontré l'influence de l'ordre d'introduction des réactifs sur la période d'induction. Ainsi, lorsque le catalyseur est ajouté après l'oléfine et l'hydrogénosilane, on observe une période d'induction dépendant de la concentration en catalyseur. En revanche, si le catalyseur est laissé en contact avec le polybutadiène pendant une période minimale de 15 min avant l'addition du silane, cette période d'induction disparaît comme le montre la figure III-1.
Figure III-1 : Influence
du temps de contact (tc) entre l'ACP et le polybutadiène (PB),
précédant l'addition de l'aminosilane, sur la période d'induction
(163,218) .
a) tc = 0 ; b) tc = 15 min. ; c) tc = 40 min.
[ACP] = 9,7. 10 - 4 M ; [CH=CH2] = 0,66 M ; [SiH]o = 0,338 M ; T = 80°C .
Les auteurs ont admis que, dans l'isopropanol,
l'espèce catalytique principale est probablement un complexe
dinucléaire stabilisé par du propène
[(C3H6)PtCl2 ] 2 en
équilibre avec H[(C3H6)PtCl3 ] (226) . La période d'induction
résulterait de la nécessité d'une complexation préalable du platine par
les doubles liaisons pendantes du polybutadiène selon l'équilibre
suivant :
Bien qu'il puisse y avoir hydrosilylation lorsque le catalyseur est en phase hétérogène, nous n'aborderons que les mécanismes de cette réaction en phase homogène. Le mécanisme d'hydrosilylation le plus classique reste celui proposé par Chalk et Harrod (225) (figure III-2). Après complexation du platine par les doubles liaisons (période d'induction), il y a addition oxydative d'une fonction hydrogénosilane sur l'atome de platine qui passe ainsi du degré d'oxydation 2 au degré d'oxydation 4.
Figure III-2 : Mécanisme de l'hydrosilylation catalysée par l'acide hexachloroplatinique d'après Chalk et Harrod (225) .
Récemment, Hazziza et al. (218) ont étudié le mécanisme de l'hydrosilylation dans le cas particulier d'un aminosilane et du polybutadiène. Une étude cinétique a permis de distinguer deux cas selon que la concentration en fonction hydrogénosilane est nettement inférieure à celles des doubles liaisons (figure III- 3 a , b, c, d) ou que les deux concentrations sont équivalentes (e). La figure III-3 illustre bien ce phénomène qui se traduit par une nette accélération dans le cas où les concentrations sont les mêmes (e). Cette forte accélération serait la conséquence de la réduction par la fonction hydrogénosilane du Pt (IV) en Pt (0) , ce dernier ayant une activité catalytique nettement supérieure. D'autre part, cette réduction du Pt (IV) serait autocatalysée par le Pt (0) déjà formé. Ensuite, il y aurait coordination d'un ligand oléfinique sur le Pt (0) , suivie d'une addition du silane sur cette double liaison activée.
Figure III-3 : Influence de la concentration en SiH sur le déroulement de la réaction entre le polybutadiène et un aminosilane (218) .
[H2PtCl6 ,6 H2O] = 9,7.10-4 M ; [CH=CH2 ] = 0,66 M ; tc = 15 min ; T = 80 °C .
a) [SiH]o = 0,038 M ; b) [SiH]o = 0,058 M ; c) [SiH]o = 0,082 M ;
d) [SiH]o = 0,099 M ; e) [SiH]o = 0,660 M .
De nombreux travaux font état de réactions secondaires qui se produisent lors de réactions d'hydrosilylation. Bien que des efforts soient faits dans ce domaine pour tenter de les décrire, ces phénomènes, divers et spécifiques à chaque cas, ne sont pas encore tous bien compris. Nous nous limiterons, dans ce paragraphe, aux réactions mises en évidence dans des systèmes proches du nôtre.
L'hydrosilylation des oléfines terminales catalysées par des dérivés du platine conduit le plus souvent à une orientation de type anti-Markownikov, ce qui correspond à une addition du silane en position terminale par rapport à l'insaturation (position 1) et conduit à un produit que l'on nomme habituellement adduct b . Cependant, dans certains cas, le silane peut s'additionner partiellement en position 2 et donner un adduct a (163,216,222,225,230) comme le montre la figure III-4 :
Figure III-4 : Isomères d'addition d'un hydrogénosilane sur une double liaison terminale.
Selon R.N. Neals (230) , les proportions des deux types d'adducts dépendent non seulement de la nature des substituants X et Y, mais également de la concentration du catalyseur.
Les alcènes 1,2-disubstitués résultant de l'isomérisation des composés allyliques conduisent à la formation d'adducts b ' (figure III-5) (163) . Harrod et Chalk (225) évoquent des raisons cinétiques, résumées dans la figure III-5, pour expliquer que les proportions de produits isomères ( b, a, b ') varient avec la nature de l'hydrogénosilane. Des valeurs des constantes d'équilibre et des constantes de vitesse dépendront les proportions de chacun des isomères.
Lors de l'étude des réactions secondaires intervenant dans le système 1-allyloxy 2-hydroxy 3-phénoxypropane (AHP) / a,w -dihydrogénoPDMS / ACP, Torrès (219) a mis en évidence une réaction d'isomérisation de l'oléfine. L'auteur a pu montrer que cette réaction dépendait de l'ordre d'introduction des réactifs. Le fait d'introduire le catalyseur en dernier défavoriserait cette réaction d'isomérisation et, d'une manière générale, les autres réactions secondaires. A l'inverse, le mode opératoire consistant à mélanger d'abord le composé allylique avec le catalyseur (ACP), puis à introduire les fonctions hydrogénosilane goutte à goutte favoriserait l'isomérisation et les autres réactions secondaires.
Cependant, il n'a pas pu être mis en évidence que cette réaction d'isomérisation dépendait du rapport R = [ACP]/[SiH] ou [ACP]/[allyl]. En effet, pour un rapport R < 10-4 , seule la réaction d'isomérisation se produit, alors que pour un rapport R > 10-4 , les isomères 2-propényliques seraient consommés par une autre réaction secondaire faisant intervenir les fonctions hydroxyle secondaires de l'AHP. De plus, Torrès a constaté que ces isomères 2-propényliques de l'AHP n'étaient pas actifs vis-à-vis de l'hydrosilylation.
Figure III-5 : Cinétique d'isomérisation et d'hydrosilylation des oléfines proposée par Harrod et Chalk (225) .
Certains auteurs (231) décrivent des cas de coupures de la liaison Si-C en présence d'un alcool et d'un catalyseur à base de palladium ou de platine Dans le cas du PDMS, le schéma réactionnel est représenté par la figure III-6 :
Figure III-6 : Coupure des liaisons Si-CH3 en présence de H2PtCl6 et d'alcool.
De la même façon que pour les liaisons Si-CH3 , des coupures de liaisons hydrogénosilane peuvent se produire (232) . Ces coupures catalysées par le platine en présence d'oxygène conduisent à la formation de ponts siloxane et d'hydrogène (figure III-7).
Figure III-7 : Coupures de fonctions hydrogénosilane en présence de platine et d'oxygène et formation de ponts siloxane.
L'utilisation d'un alcool pour solubiliser l'acide hexachloroplatinique permet une catalyse homogène. Toutefois des effets parasites peuvent en résulter :
Une condensation entre la fonction hydrogénosilane et la fonction alcool (233) :
La formation d'acide chlorhydrique (234) :
En fin de réaction d'hydrosilylation, certains auteurs introduisent dans le mélange réactionnel un poison de catalyseur. Celui-ci a pour but d'empêcher certaines réactions parasites catalysées par les dérivés du platine. Pour l'ACP, le bis-(1,2-diphénylphosphino)éthane en solution dans le toluène a été utilisé avec succès (235) : Cependant, l'auteur ne précise pas si le poison peut être éliminé ultérieurement.
Ces quelques rappels bibliographiques sur la réaction d'hydrosilylation catalysée par l'acide hexachloroplatinique nous ont permis d'en dégager les caractéristiques essentielles, les limites, et surtout les réactions secondaires qui peuvent se produire. En l'occurrence, nous avons vu que le fait de mettre en contact préalablement l'oléfine et le catalyseur en l'absence du silane supprimait le temps de latence, mais pouvait favoriser certaines réactions secondaires. En revanche, la suppression de ce temps de latence est nécessaire à toute étude cinétique visant à déterminer les ordres réactionnels, donc le mécanisme.
Les réactions parasites peuvent en partie être évitées en utilisant des réactifs et des solvants purifiés et séchés et en opérant sous atmosphère inerte (argon). Enfin, pour la même espèce catalytique de départ et étant donné la diversité des bilans réactionnels observés dans la littérature, nous pouvons dire que les résultats obtenus pour chaque système dépendent à la fois de l'oléfine, du silane, de la nature du solvant, de la concentration des réactifs et du catalyseur, de la température, mais aussi de l'ordre d'introduction des réactifs.
La synthèse des résultats de l'étude cinétique précédente conduit à écrire la vitesse de la réaction d'hydrosilylation :
v = k . [SiH]1/2 . [-CH=CH2]1 . [H2PtCl6]1 [10]
Le résultat le plus surprenant est l'observation d'un ordre 1/2 en SiH. Pour l'expliquer, il faut envisager que deux molécules de produits d'hydrosilylation soient formées à partir d'un seul intermédiaire. Cela nous a amené à supposer que cet intermédiaire pouvait être un complexe binucléaire du platine et que les deux atomes métalliques pouvaient être actifs simultanément par réaction avec deux liaisons hydrogénosilane voisines (n'oublions pas que le réactif est un polymère). En nous inspirant du mécanisme de Chalk et Harrod dans lequel une étape déterminante est l'insertion oxydative du platine dans la liaison Si-H, nous pouvons envisager une réaction du type de l'équation [11] :
+ H-Siº ® [11]
Nous remarquons alors - et cela est confirmé par la construction de
modèles moléculaires tels que celui qui est représenté sur la figure
III.19 - que la liaison
Figure III-19 : Modèle moléculaire du complexe dinucléaire formé par insertion d'un atome de platine appartenant à un complexe binucléaire dans une liaison Si-H d'une chaîne de poly(hydrogénométhylsiloxane). Noter la proximité de la liaison Si-H du motif voisin et du second atome de Pt.
Si-H du motif voisin se trouve à très courte distance de l'atome de platine (II) du complexe binucléaire. On peut alors penser que la deuxième réaction d'insertion oxydative se produit très facilement, conduisant éventuellement à une dissociation du complexe binucléaire (éq. [12]).
[12]
Le réarrangement de ce double intermédiaire réactionnel consisterait en une insertion de la double liaison entre l'hydrogène et le métal, suivie de la libération du produit d'hydrosilylation par élimination conjointe du groupe alkyle et du groupe silyle et reformation de platine divalent (éq. [13]) :
[13]
Il est facile d'adapter un tel schéma réactionnel pour qu'il rende compte des ordres cinétiques observés. Nous pouvons considérer la suite d'équilibres suivants :
[14]
Pt Pt, cpx
[15]
Pt, cpx Pt2
Pt2SiH
[16]
HPt 2 Si
HPt2Si2HPtSi
[17]
N.B. Les noms indiqués sous chaque formule sont des notations simplifiées destinées à alléger l'écriture.
Le complexe HPtSi réagirait alors de la façon indiquée par l'équation [13] avec une constante de vitesse k, cette étape étant irréversible et cinétiquement déterminante. On peut alors écrire :
v = k [HPtSi] [18]
Compte tenu des équilibres représentés par les équations [14] à [17] :
il vient v = k K41/2 [HPt2 Si]1/2
v = k K4 1/2 K31/2 [Pt2 ]1/2 [SiH]1/2
v = k K4 1/2 K31/2 K21/2 [Pt, cpx] [SiH]1/2
v = k K 4 1/2 K3 1/2 K2 1/2 K1 [Pt] [C=C] [SiH]1/2 [23]
Si l'on admet que les constantes d'équilibre K1 , K2 et K3 sont faibles, la plus grande partie du platine se trouve sous forme de Pt(II) mononucléaire inactif et l'équation [23] est conforme à l'équation de vitesse expérimentale.